L'art et la matière

Patrice Blanc

Portrait dessiné Patrice Blanc

LE BON SAUVAGE

Quand on rentre dans l’atelier de Patrice Blanc, situé à la pointe de l’Ile de Nantes, pas de sas de décompression, on est tout de suite immergé dans son métier : luthier de guitares.

L’espace est compté et, il le regrette lui-même, il n’y a pas la place d’avoir un vrai showroom, ni de salon pour recevoir les clients. Mais les instruments sont partout, suspendus au plafond et accrochés aux murs, en cours de réparation ou de fabrication.

Des instruments, oui, et aussi une multitude d’outils, bien rangés, qui nous accueillent.

UN AUTODIDACTE TOUCHE-A-TOUT

Facteur de guitares depuis 35 ans, Patrice est un pur autodidacte. A l’époque où Internet n’existe pas encore, il apprend par lui-même en lisant des ouvrages anglophones sur la lutherie et en échangeant avec des confrères.

Bricoleur, il fabrique tout petit déjà sa première guitare en assemblant une planche, un morceau de bois et des celles en guise de cordes. Mais le réel déclic arrive un peu plus tard lorsqu’il s’arrange pour faire un stage dans un magasin de musique à Annecy. Là, il entend pour la première fois le mot « luthier » et cela résonne en lui. Il sait alors qu’il veut en faire son métier et achète des feuilles de papier, un crayon et une règle pour dessiner sa première guitare. 5 ans plus tard, Patrice démarre alors son activité en Rhône-Alpes, s’installant à Annecy tout d’abord, puis Chambéry et enfin Grenoble.

Quand on lui demande quel regard il porte sur cette époque, il se livre en toute sincérité et n’hésite pas à parler des difficultés d’être un artisan installé à son compte : les aléas de l’activité, les charges, la pression qui pousse à accepter toutes les demandes, quitte parfois à laisser la qualité au second plan.

Insatisfait de cette situation, Patrice prend en 2007 une décision radicale : tout quitter, aller à l’autre bout de la France et recommencer à zéro.

CHANGEMENT DE CAP ET NOUVELLES RESOLUTIONS

Il a besoin de changer d’air et de retrouver l’envie de son travail. Lui, qui était incontournable à Grenoble, arrive à Nantes où personne ne le connaît. C’est un pari audacieux et qui nécessite une bonne dose d’humilité : devoir refaire ses preuves après plus de 20 ans de métier derrière soi, accepter de se faire évaluer par des « gamins de 16 – 17 ans ». Cela implique aussi de se remettre en question fondamentalement : le choix des projets, sa manière de travailler, sa relation à ses clients, son rapport à la créativité…

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, Patrice trouve d’abord sa liberté en laissant de côté les créations de guitares. Il décide de se recentrer sur les réparations et les réglages qui lui permettent de payer son atelier et d’acheter du matériel et des matières premières de qualité. Patrice, qui gérait déjà intégralement la chaîne de fabrication pour plus d’autonomie, cherche alors à s’affranchir des contraintes pour se faire plaisir au maximum dans son travail. Cela lui permet aussi de mieux organiser le temps consacré à ses clients.

« Je ne peux pas fabriquer un objet qui transmet des vibrations si je suis moi-même rempli des mauvaises ondes »

Travailler autrement passe aussi par se garder du temps pour soi. Patrice est un contemplatif, il a besoin de se réserver des moments pour laisser son esprit vagabonder, sortir la tête de la lutherie et explorer d’autres univers comme la photographie ou de partir à vélo sur les chemins de France. C’est ainsi qu’il trouve son équilibre.

Exposition guitares Patrice Blanc

Autre résolution, être plus sélectif et ne plus accepter toutes les demandes. Il décide de ne travailler que sur certains modèles de guitares qu’il affectionne particulièrement (jazz, folks et électriques traditionnelles…). Dorénavant, il s’écoute et fonctionne au feeling, aussi bien avec les projets qu’avec les clients, quitte à ajuster ses tarifs lorsque le budget est « un peu juste ». Raisonner non pas en quantité mais en qualité.

Rapidement, ces bonnes résolutions commencent à porter leurs fruits et le savoir-faire de Patrice Blanc est désormais reconnu dans la région.

L’amour du travail bien fait et la persévérance, il n’y a que ça de vrai !

« COMME UN ALCHIMISTE DANS SON LABORATOIRE… »

Patrice Blanc artisan

Avec le temps, le goût de la création revient également et de nouvelles idées de guitares émergent. Mais loin d’être une finalité, c’est plutôt pour lui la cerise sur le gâteau !

Alors qu’il invente et adapte sans cesse dans son atelier ses instruments de travail, Patrice avoue que le processus de création n’est pas chose aisée pour lui. Les idées n’affluent pas en rafale. Au contraire, elles sont le fruit d’une maturation lente. Ce n’est pas grave, l’homme est patient et il préfère attendre de trouver la forme parfaite que de finir à tout prix ses créations.

C’est ainsi qu’il a laissé dormir pendant 3 ans l’une de ses guitares parce qu’il ne trouvait pas la forme idéale de ses ouïes ! Une fois l’idée trouvée, il finit la pièce en 2 semaines.

Patrice se voit « comme un alchimiste dans son laboratoire. » Son métier d’artisan, c’est « d’essayer de transformer le plomb en or, d’aller chercher le détail le plus infime, le plus ultime ». Patrice ne s’en cache pas, il vise l’excellence et tout cela s’exprime dans ses modèles.

AVEC LES GUITARES, ON TRAVAILLE SUR DU SENSIBLE, DU VIBRATOIRE, DU VIVANT…

Chaque élément est important. On songe bien sûr d’abord à la forme de l’instrument, sa courbure, au choix des essences de bois, du contre-placage ou du massif, la qualité du micro… mais pour Patrice, cela passe aussi par la forme des éclisses et des ouïes, par les incrustations qui ornent l’instrument, jusqu’aux étiquettes estampillées apposées au fond de ses guitares et même, la couleur. Car oui, Patrice en est convaincu, une guitare bleue ne va pas sonner comme une guitare orange. Au-delà de l’influence quantique des pigments sur le son, la couleur impacte forcément l’état d’esprit du musicien.

« Mon atelier est un vrai terrain de jeu ! »

Autodidacte, inventif, touche-à-tout, Patrice conçoit chaque pièce de ses guitares. Ses moules bien sûr, mais aussi ses propres micros et même ses propres contre-plaqués qu’il va jusqu’à appliquer aux guitares folk et jazz (traditionnellement en bois massif). Allégeant les instruments, cela permet un autre style de jeu et un son différent.

Bref, Patrice s’épanouit dans les contraintes qui lui permettent d’exprimer toute son inventivité.

DE LA MATIÈRE BRUTE À L’INSTRUMENT

Les pièces que nous montre Patrice sont magnifiques mais cela nous démange de remonter à la source et de toucher les matériaux bruts, avant transformation et vernissage.

Placage de bois

Nous l’interrogeons donc sur ses bois de prédilection et là, le regard de Patrice s’éclaire. Il nous emmène dans une pièce où de nombreuses planches attendent patiemment sur les étagères. Epicéa des Dolomites (qu’il va chercher exprès en Italie), d’Alaska ou d’Adirondack, acajou du Honduras, palissandre indien ou de Madagascar, amourette mouchetée d’Amérique du sud… tout un monde s’ouvre à nous.

Il nous fait admirer le maillage et les motifs élégants des planches, dans un camaïeu magnifique d’ocres, de bruns, de rouges. Que de couleurs sur ces étagères où sont déposés ses bois !

Patrice connaît la provenance de chacun, leur qualité et leur spécificité. Avant de le choisir, il scrute la fibre, étudie la coupe qui est une étape cruciale au millimètre près, tout comme le séchage. Il va même parfois jusqu’à faire étudier sa sélection au microscope pour confirmer l’essence, l’origine et la densité du matériau. Et on comprend encore mieux la nécessité de ne pas se tromper quand il nous avoue qu’il lui arrive parfois d’acheter des arbres entiers !! Cela lui permet d’optimiser la coupe du bois et de limiter les chutes. Quand on vous dit que Patrice Blanc est un homme audacieux !

Texture de bois

LE SON DE LA FORÊT

L’enthousiasme de Patrice est communicatif et il nous surprend encore lorsqu’il fait résonner les planches de bois pour nous faire écouter les différentes tonalités et sustains* de ces essences. Étonnant pour un simple bout de bois d’avoir autant de coffre ! On a bien envie en rentrant chez nous de faire l’essai avec nos planches de chez Castorama…

*durée de la note, longueur du son

Palissandre de Madagascar
Epicéa Adirondack
Epicéa d’Alaska

Artisan Luthier

« ESSAYER LE PLUS HUMBLEMENT POSSIBLE DE FAIRE LES PLUS BELLES GUITARES DU MONDE… »

Résolument passionné par son métier, Patrice nous dit « essayer, le plus humblement possible, de faire les plus belles guitares du monde ». Et, il en a conscience, c’est un projet ambitieux que d’essayer de se renouveler sans cesse, ne pas se reposer sur ses acquis. Il l’assume pleinement car, pour oser se lancer en tant qu’artisan, il faut bien une certaine dose d’ego : penser qu’on a quelque chose de neuf à exprimer, tenir bon malgré les difficultés, ne pas transiger sur ses convictions.

De l’ego oui, mais pas mégalo ni arriviste. Malgré toute son expérience, Patrice ne se satisfait pas de ce qu’il sait déjà et veut apprendre toujours plus.

Ce qui le motive : la curiosité et l’envie de pousser son art toujours plus loin pour toucher et surprendre ses clients.

Peu habitué aux interviews (ça tombe bien, nous non plus !), Patrice avait peur que son expérience de luthier ne soit pas très intéressante pour des lecteurs. Pour notre part, nous avons rencontré quelqu’un d’authentique, chez qui l’amour de l’artisanat et des métiers d’art est profondément ancré.

Lui, qui se décrit comme un sauvage, a su nous parler de son métier avec générosité et sincérité. Nous sommes très heureux qu’il ait accepté d’inaugurer notre galerie de portraits et espérons avoir réussi à retranscrire sa passion fidèlement et vous donner l’envie, guitaristes ou non, d’aller pousser la porte de son univers.

« Le pire pour un artisan, c’est de dire qu’il a trouvé sa marque de fabrique et qu’il arrête de chercher. »

Source : Patrice Blanc

Lutherie Patrice Blanc ⎢ Site webBlogInstagram
Quai Wilson – 44200 Nantes

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